Pour une société de coopération et de partage1
Ma réflexion est largement issue du livre pré-cité de David Bollier, auteur et consultant politique, qui se consacre aux communs depuis 19902. Je fais partie des gens de peu3 qui, sans forfanterie mais avec conviction et vigueur, font valoir leur droit à participer à la vie de la cité. Nous, gens de peu, organisons nos vies sur les valeurs de coopération, solidarité, responsabilité, partage,... Loin de nous, la poursuite effrénée vers une opulence financière qui permet de céder à tous les mirages de la possession.
Un petit détour par l'histoire
L'exemple anglais :
Je fais référence au mouvement des enclosures qui s'est répété à maintes reprises en Angleterre, de la période médiévale au XIXème siècle. Les pâturages, les forêts, le gibier et l'eau traditionnellement gérés sous forme de commun par les villageois ont fait l'objet de spoliation par le roi et l'aristocratie qui les ont déclarés privés. Pour exclure les "commoners", il était habituel de les exproprier de leurs terres et d'ériger des barrières. Pour cette minorité de privilégiés, les enclosures, obtenues par la force armée, étaient un moyen commode de mettre la main sur davantage de richesses.
Or, l'accès aux communs constituait le fondement de toute une économie rurale. Empêchés d'utiliser leurs communs, les villageois ont dû migrer vers les villes où la révolution industrielle naissante les transformait en esclaves salariés et en indigents. Un objectif important des enclosures anglaises était de transformer les "commoners" doués d'intérêts collectifs en consommateurs et employés individualisés, en créatures du marché. C'est ainsi que les enclosures ont aussi servi à priver les gens de contacts directs avec le monde naturel, et à leur imposer un isolement social et spirituel. Dans les pays nantis, le repli sur soi, le besoin de propriété individuelle ont atteint les classes sociales les plus modestes, ainsi asservies par l'endettement.
Dans un commun, production et gouvernance étaient étroitement associées, et tous les "commoners" avaient part aux deux. Après les enclosures, les marchés prirent en charge la production, et l'Etat se chargea de la gouvernance. L'Etat libéral moderne était né.
L'histoire anglaise est en cela révélatrice qu'elle informe sur la manière insidieuse dont les dominants capitalistes libéraux s'emparent sans vergogne, et très égoïstement, sans souci de l'avenir de leur propre descendance, des ressources vitales de la planète Terre. Le scenario anglais s'est reproduit partout, la mondialisation libérale a contaminé tous les pays, qu'ils soient sous un régime dictatorial ou pseudo-démocratique (pseudo, car le marché prévaut toujours sur la préservation dans les décisions de gouvernance).
Il y a toujours eu des humains, animés de volonté de puissance et de domination, qui ont voulu asservir les populations par la force en les privant de l'usage économe et partageux du bien commun. Il y a toujours eu des peuples qui se sont révoltés, et qui, au prix de leur sang, ont fini par abattre les dictateurs.
Bienvenue dans le monde moderne des commoneurs et des communs !
Explication par les exemples - la renaissance des communs
L'exemple anglais est l'exemple universel de la main-mise du marché sur toutes les ressources planétaires. Le vocabulaire qui s'y rattache - spoliation des commoneurs, de leurs communs - qualifie très justement la révolution qui est en marche. Car les commoneurs sont en train de renouer avec l'intelligence collective pour faire commun. Les exemples sont nombreux, à notre porte.
La revendication de la société civile, un exemple jurassien : Pic noir contre Center parcs
Notre système démocratique comporte bien des failles. Les élu-e-s, pour la plupart, à quelque niveau qu'ils soient, oublient de rendre compte de leurs actions à leurs électeurs. C'est ainsi que l'on voit agir des potentats locaux qui confondent élection démocratique et dictature. Ce comportement se retrouve notamment dans les projets d'aménagement de grands projets inutiles et... imposés. Je voudrais témoigner ici de l'aventure du Pic noir à Poligny (Jura).
Abattus par l'annonce de la vente de 80ha de la forêt communale au promoteur Pierre et Vacances, des citoyens ont décidé de réagir. C'est le cas typique de résistance à la spoliation d'un bien commun par des commoneurs : écriture d'engagements communs sous forme de statuts juridiques, mise en place de procédure de gouvernance démocratique, création de groupes de travail thématiques,... Les commoneurs mouillent la chemise, avancent au grand jour et font bouger les lignes. Bien sûr, la lutte n'est pas terminée, mais ce bien commun qu'est leur résistance est et restera leur plus grande victoire : des gens qui ne se connaissaient pas ou se parlaient à peine, des gens de milieux différents, des croyants, des incroyants, des jeunes, des vieux, des discrets, des grandes gueules se sont retrouvés, coude à coude, pour protéger leur bien commun contre l'envahisseur économique. Ce bien commun, c'est ce bout de forêt, mais c'est surtout leur culture, leur mode de vie, l'intégrité de leur territoire, leur solidarité ; tout cela va bien au-delà de la possession de quelques hectares. Quelle aventure humaine, quelle richesse !
Si le délit d'enclosure existait - d'ailleurs, il faudrait le créer - l'équipe municipale de Poligny pourrait en être accusée : voilà des gens qui, sans sourciller, s'apprêtent à brader quelques 80 ha de forêt communale à un promoteur privé, et ceci sans en référer aux habitants. Heureusement, les commoneurs veillent !
Les logiciels libres
Le monde virtuel de l'Internet a fait l'objet de la rapine du monde marchand qui vend ses services sous forme de copyright. Cependant, ce monde virtuel a ceci de magique, c'est qu'il est accessible à tous. L'imprévu est arrivé, l'intelligence collective devance les marchands. Les géniaux inventeurs ont imposé la notion de copyleft, c'est-à-dire la liberté de chacun à copier librement.
Les commoneurs informatiques utilisent librement les services offerts par Mozilla, Thunderbird, Open source, Framasoft, Gandi mail,... Les commoneurs experts, invités par la communauté, enrichissent à l'envie ces modèles à l'usage des commoneurs utilisateurs.
Les groupements de consom'acteurs
Les gens de peu, soucieux de la pérennité des ressources, du bien manger et solidaires des paysans qui les nourrissent développent des systèmes coopératifs "gagnants-gagnants" avec les producteurs pour s'approvisionner localement. C'est ainsi que se créent les AMAPS (associations pour le maintien de l'agriculture paysanne), et autres formes de groupements gérés par les commoneurs selon des règles sociales et éthiques signifiées dans une charte qui leur est propre. La grande distribution n'y a pas sa place. La part belle y est faite à l'agriculture paysanne et biologique, formes d'agriculture qui se soucie de l'équilibre des sols et de la pérennité des ressources. Les adhérents de ces groupements font commun.
Les citoyens font commun en faisant la banque
Une autre forme de communs mérite d'être citée, c'est quand des commoneurs cassent leur tirelire pour soutenir le financement d'activités au service du bien commun. Des artisans, des agriculteurs qui veulent exercer ces métiers au bénéfice des gens, et qui sont bloqués parce qu'ils ne peuvent pas se payer le minimum d'outils pour débuter. Ils sont bien sûr refoulés par les banques, jugés insolvables. On peut citer les Cigales4, la NEF5, Oïko crédit6, Habitat et humanisme7, Terre de Liens8. Il y a aussi les plates-formes participatives sur Internet. A chaque fois qu'un groupe de citoyens s'attache à une personne et à son projet pour le soutenir dans son activité, ce sont des commoneurs qui se mettent en marche, c'est un commun qui naît.
Je témoigne de l'exemple du mouvement Terre de Liens qui me tient particulièrement à cœur. Terre de Liens, ce sont en France quelques 800 bénévoles actifs, 15 000 actionnaires et donateurs, 150 fermiers, tous commoneurs engagés ensemble pour la préservation des terres agricoles. Ces terres, mais aussi leur charte, leurs actions, leurs plaidoyers, leurs fêtes, leurs prises de tête aussi... sont leur commun. Oui, depuis maintenant 15 ans, les commoneurs Terre de liens font commun.
Ces exemples nous montrent que les communs ne sont pas des ressources. Ce sont quelquefois des ressources, plus une communauté définie et les protocoles, valeurs et normes inventés par cette communauté pour les gérer. Il est exact qu'il y a un besoin urgent de gérer certaines ressources – l'atmosphère, les océans, le savoir génétique, la biodiversité, l'eau, la terre – comme des communs. Actuellement, ce sont des communs en puissance...
Pour récapituler, les communs en quelques mots
Citations du livre de David Bollier
Les communs, c'est :
- un système social en vue de la gestion responsable à long terme des ressources, qui préserve les valeurs partagées et l'identité d'une communauté ;
- un système auto-organisé par lequel des communautés gèrent leurs ressources (épuisables ou renouvelables) de manière indépendante de l'Etat et du marché ;
- la richesse dont nous héritons ou que nous créons ensemble et que nous devons transmettre à nos enfants, à savoir : les dons de la nature, les infrastructures civiques, les œuvres et traditions culturelles, le savoir ;
- un secteur de l'économie (et de la vie) qui crée de la valeur de manière souvent considérée comme allant de soi - mais qui est souvent compromise par l'Etat/marché.
Il ne peut exister d'inventaire exhaustif des communs,
parce qu'un commun peut émerger n'importe où dès lors qu'une communauté décide qu'elle souhaite gérer une ressource de manière collective, dans une optique d'accès et d'usage équitables et durables.
Il n'est pas de communs sans "faire commun"
Les communs doivent être conçus comme un nom. Ils doivent être animés par la participation à la base, la responsabilité personnelle, la transparence, l'autorégulation et la reddition de comptes.
L'enclosure des communs constitue un des problèmes les plus cruciaux et les plus négligés de notre époque.
Il s'agit de l'expropriation et de la commercialisation de ressources partagées, le plus souvent en vue d'un profit commercial privé : le brevetage des gênes et des formes de vie, l'usage des copyrights pour verrouiller la créativité et la culture, la privatisation de l'eau et de la terre,...
Les enclosures sont une forme de dépossession.
Elles signifient la privatisation et la marchandisation de ressources qui appartiennent à une communauté ou à tout le monde, et le démantèlement de la culture des communs au profit des marchands qui font peu de cas des valeurs locales, richesses pourtant essentielles pour les commoneurs.
Les communs classiques sont des communs à petite échelle, constitués autour de ressources naturelles.
2 milliards de personnes dépendent de communs pour leurs subsistance quotidienne. Tout aussi importants, les communs fondés sur Internet et les technologies numériques constituent l'un des types les plus solides de communs, car ils permettent de créer un important patrimoine de connaissances et de biens partagés.
Pour les commoneurs, la tâche politique immédiate est de trouver les nouvelles structures juridiques, institutionnelles ou sociales qui puissent permettre à divers types de communs d'opérer à une échelle plus importante, de protéger leurs ressources des enclosures du marché et de garantir la puissance générative de leurs communs.
De nouvelles formes et de nouvelles pratiques de communs sont nécessaires à tous les niveaux - local, régional, national et global.
Il y a également besoin de nouvelles formes de fédérations entre commoneurs, et de liens entre différentes échelles de communs. Pour garantir l'actualité des communs et prévenir les enclosures, il nous faut des innovations dans le domaine du droit, des politiques publiques, de la gouvernance, des pratiques sociales et de la culture. Ces innovations devront refléter une vision du monde très différente de celle qui prévaut dans les systèmes de gouvernance d'aujourd'hui, notamment ceux de l'Etat/marché.
- éditions Charles Leopold Mayer
- bollier.org
- Les gens de peu, Pierre Sansot, Presses universitaires de France
- http://cigales.asso.fr
- https://www.lanef.com
- www.oikocredit.fr
- www.habitat-humanisme.org
- www.terredeliens.org