Depuis quelques temps je suis étonné que des personnes qui comptent beaucoup dans mon parcours intellectuel, comme Dominique Vidal, Hubert Huertas ou Robert Guédiguian (pour ne citer que les plus illustres) regrettent sans cesse l’absence d’union entre MM Mélenchon et Hamon.
Je voudrais avancer quelques arguments tendant à préciser pourquoi selon moi cette union n’est pas possible dans le but d’apaiser les discussions et de les faire revenir à la réalité.
Ce n’est pas un problème d’ego, mais de militants :
Il est évident que pour être là où ils sont, M. Mélenchon et M. Hamon ont un ego plus élevé que la moyenne. N’est-ce pas nécessaire pour être où ils sont ? N’est-ce pas le cas de tout candidat à ce poste version 5ème république ? Si, évidemment.
Mais, les observateurs semblent oublier un peu rapidement que ce sont les militants de La France insoumise (et probablement aussi ceux de M. Hamon, bien que je n’en ai pas la certitude), c'est-à-dire de la base, qui prennent parti pour cette position. M. Mélenchon sur ce point n’est que le porte parole d’insoumis qui n’ont plus envie d’entendre parler du PS parce qu’ils ont une mémoire d’au moins 5 ans. Et cette mémoire les porte à penser que le problème principal, c’est le positionnement politique sur le fond du programme, et pas la forme de l’union.
Ce n’est pas un problème d’ego mais de programme :
La non union entre les deux n’est pas liée à la volonté respective des deux candidats de voir leur nom sur le bulletin de vote. Elle est liée à un problème fondamental de position sur l’Europe pour ne retenir que le sujet principal. Le programme de M. Hamon, s’il peut être intéressant à certains égards, est totalement inapplicable en restant dans le cadre des traités européens. Son issue, s’il arrivait au pouvoir-destin qu’il sait lui-même improbable, serait la capitulation face à Bruxelles.
La différence entre les insoumis et les partisans socialistes est que les premiers ont un bagage politique solide et qu’ils ont en mémoire le cas grec au cours de l’été 2015. La position du PS est bien sûr respectable mais c’est un point d’achoppement considérable. Nous avons assez lu Frédéric Lordon pour comprendre qu’on ne pouvait que « sortir du cadre européen » ou encore « renverser la table plutôt que de passer dessous » pour nous permettre de mener une véritable politique de gauche. Nous avons assez lu « le diplo » pour comprendre que l’orthodoxie économique était inscrite dans les traités, et que par conséquent, il est impossible d’y mener une politique progressiste en les respectant.
Pourquoi ne pas reconnaître ces faits élémentaires ?
La situation est pourtant simple : Le PS (et c’est son droit le plus strict) souhaite rester à l’intérieur du cadre quand la France insoumise souhaite en sortir. Et, en sortir par le haut. Et, les contempteurs de la désunion savent pertinemment que dire cela ce n’est pas être anti-européen, que c’est l’Europe actuelle qui est anti-européenne, qui nous fait détester le roumain, qui fait accueillir Angela Merkel à Athènes par des déguisements nazis, qui fait monter l’extrême droite dans tous les pays… Les contempteurs de la désunion savent que nous sommes fondamentalement pour l’Europe de la paix, du progrès social, de l’harmonisation fiscale et sociale, du bien-être économique… Mais que nous le sommes vraiment, pas des mots creux !
L’impossible sanction du pouvoir sortant :
La représentation du PS par Benoît Hamon pose un problème qui n’est jamais souligné. Quelle possibilité est offerte aux français de sanctionner le pouvoir socialiste sortant ? M. Macron ne s’en revendique pas, M. Hamon le rejette et on n’entend plus du tout M. Valls.
Mais, nous, les insoumis à la tête dure, nous nous rappelons que M. Hamon est le candidat du PS, du pouvoir sortant, et qu’il doit subir les conséquences de ce que le parti a fait (ou plutôt pour ce qu’il n’a pas fait).
Ce tour de magie du PS pour faire oublier son bilan force le respect mais il nous contraint à nous éterniser sur cette histoire d’union alors que pendant 5 ans, il n’est jamais venu l’idée de personne de gauche (la gauche de gauche, j’entends) de prétendre à une quelconque union avec le PS.
Nous sommes, nous-aussi, un peu les enfants de Nuit Debout, mouvement pendant lequel on entendait ce slogan de François Ruffin : « Nous ne voterons plus jamais PS ». Et que, par extension, ce « nous ne voterons plus jamais PS » se traduit chez beaucoup d’entre nous par « nous ne voulons plus jamais entendre parler du PS, de ses cadres, de ses satellites etc. Plus du tout, plus jamais ».
C’est l’autre union qu’il faut regretter :
La tristesse politique est à mon sens ailleurs, et le débat Hamon/Mélenchon occulte totalement cette réalité. Pourquoi EELV, le PCF, LO, le NPA, Ensemble, GU, NGS… et tous les autres citoyens non encartés, dégoûtés de la vie politique professionnelle ne sont-ils pas derrière la même bannière. C’est cela la vraie tristesse de la situation. Comment le quinquennat du PS n’a pas réussi à tous nous rassembler ? Ne rentrons pas ici dans les raisons que chacun pourra invoquer puisque chaque militant de son mouvement défendra sa position subjective, souvent de mauvaise foi, ou biaisée (moi compris).
Une étoile dans ce sombre décor nous est montrée par François Ruffin dans sa circonscription : d’ailleurs, lui a-t-on reproché de ne pas s’unir avec le candidat local du PS ? Non ! Pourquoi ? Parce qu’il éprouve le même dégoût que nous pour ce parti. Mais son succès repose en ce qu’il a réussi à faire s’unir toutes les forces de la vraie gauche, et pas la gauche de gauche avec la gauche de droite ce qui n’aurait pas eu de sens.
Les législatives, une cause bien plus sérieuse que l’ego :
Le débat interpersonnel Hamon/Mélenchon occulte également un autre problème de fond : Que faisons nous aux législatives ? Les contempteurs de la non-union semblent passer sous silence cette question pourtant cruciale. Imagine-t-on une seconde des unions au niveau local entre le PS et la gauche de gauche ? Là encore, l’exemple de François Ruffin suffit à y répondre. C’est pourtant cette élection qui est plus importante. Il est évident que, au-delà des figures honnies de MM Valls et Le Roux, Mme El Khomri etc, nous ne pouvons pas nous unir derrière ceux qui ont voté toutes les mesures régressistes de Hollande au palais Bourbon. Comment nous le reprocher ?
La stratégie de l’union contre le FN est un échec :
Enfin, pour terminer sur le sujet le plus grave et pour répondre à un argument invoqué régulièrement par Dominique Vidal, probablement à juste titre. Bien sûr que la multiplicité des candidatures nous est défavorable. Il nous le serait moins si le PS n’avançait pas à visage découvert et s’affichait clairement pour ce qu’il est : la gauche de droite.
Mais, il suffit de sans cesse nous attribuer la responsabilité du vote FN. Nous ne sommes en rien responsables de la montée de ce parti. Ceux qui en sont responsables ce sont ceux qui votent FN. Et pourquoi votent-ils FN ?
Ils votent FN parce que la vie politique les a dégoûtés des élections. Et le PS, parti champion dans les reniements et les trahisons des classes populaires connaît une responsabilité très lourde dans ce dégoût, bien plus que LR, dont il est normal qu’il ne serve pas les intérêts du peuple puisque c’est sa vocation que de servir les puissants.
De même, toutes les stratégies électoralistes mises en œuvre depuis 2002 pour empêcher le FN d’accéder au pouvoir l’ont toutes fait progresser pour le conduire aujourd’hui aux portes du pouvoir. Toutes ces stratégies ont été un échec. La stratégie de victimisation du FN rend toutes les luttes électoralistes contre-productives : de même que l’on entend « Si les juges s’en prennent à Marine, c’est qu’elle doit avoir raison », « si les médias veulent à tout prix tuer le FN, c’est que Marine doit avoir raison », on pourrait entendre « si Mélenchon, Hamon et Jadot s’unissent contre le FN, c’est que Marine doit avoir raison ».
Ces petites luttes calculatrices sont contre-productives, elles ont toutes échoué. On ne fera décroître le FN qu’en proposant et appliquant une vraie politique de gauche.